jeudi 17 mai 2012

Justice et force

Justice et force

Dans la république de Platon, Thrasymaque propose une définition toute simple de la justice : c’est la loi du plus fort.
Nonobstant le fait qu’il s’agit là d’une caricature de justice, en définitive égoïste et intéressé, il faut souligner qu’une justice sans force ne va pas très loin. La justice n’est pas une notion hypothétique et nébuleuse qui flotte dans l’air de l’homme de bonne volonté. Elle doit aussi être un événement effectif, qui se réalise vraiment. En cela, la justice s’arme du bon droit et du courage contre la violence colérique et les zigzags de la passion. Mais s’il faut armer la justice, pour qu’elle se réalise, il faut aussi la rendre désintéressée, près à prendre le parti contre soi, manifestant une certaine réserve, qui au premier lieu s’inspecte et s’examine. C’est avec le point de vue du tiers que la justice agit, soit du point de vue de tous et chacun et en définitive, sans véritable «point de vue». «Je» étant absent du conflit, la justice prend au mot les droits et devoirs et les applique avec une précision, une tempérance, et une ouverture exemplaire, et au besoin contre «soi». Telle personne, qu’elle soit moi, toi, Pierre, Paul a agit de manière X en des circonstances Y : voici ce qui arrivera.
Cette situation bien sûr est hypothétique et normative, et la justice effective n’est pas à l’abri de tout soupçon, au contraire. Pour que la justice ait sens, il faut soit qu’elle-même sa mauvaise conscience, son arrière-pensée, la protestation invisible contre un jeu truqué, faussé par l’égoïsme et les «intérêts» en question. Pas de point de vue nous disions ! Jankélévitch : « La justice de Thrasymaque, c’est la cité des policiers, des flagorneurs et des menteurs, celle où, dans la déconsidération générale, la fraude tient lieu de garantie. La justice une fois reconnue a enlevé toute raison d’être à la tromperie. La transparence de la justice a dissipé les fantômes de la perfidie, de la méfiance et du soupçon. Devant toute insulte face à l’homme, l’insurrection est donc le plus sacré des devoirs… Ce que la Déclaration de 93 appellera résistance à l’oppression, Platon l’admettait déjà (République, I, 340a) : le refus est ici la désobéissance légitime et la protestation de l’insurgé contre la justice du pancacre.» Traité des Vertus II, tome 2 p. 67