mardi 25 août 2020

Mon impératif catégorique

Ce n’est pas tous les jours qu’on peut affirmer avoir une épiphanie, une révélation philosophique.

Aujourd’hui, cela m’est arrivé.

Il y a de cela quelque temps, j’avais déjà réfléchi au fait que je pouvais changer certaines activités de mon quotidien pour y ajouter plus de profondeur. En ces temps-là, ce qui m’ennuyait quelque peu, c’était le fait de m’occuper de mon fils alors qu’il était dans une phase importante de lançage de caillou. À chaque jour ou presque, il fallait aller à la rivière et y passer un temps fou à lancer des cailloux, toucher un peu la rivière et ainsi de suite.

Ma réflexion de l’époque changeait un peu la donne. J’ai simplement décidé d’y ajouter un aspect métaphorique au lancer du caillou. Que cela devienne aussi la métaphore de la visée en général, y compris donc de mes visées plus fondamentales qui m’habitent. Le fait de sentir à l’œuvre dans mes muscles ce désir de précision, de visée peut me rappeler des choses importantes qui ne sont pas possibles de partager quand je m’occupe ordinairement de mon fils ou lorsque je joue avec. J’ai fini par y prendre même suffisamment goût. Aller à la rivière n’était donc pas aussi pénible qu’avant.

Aujourd’hui, plus ou moins par hasard, l’extension de l’exercice de la médiation du lancer du caillou m’est apparue comme une évidence. À l’époque, j’ai simplement pensé à cet exercice par rapport à quelque chose de précis qui m’occupait. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est pratiquement la même chose partout. Je peux faire la cuisine méditativement où chaque petit geste est le symbole de différents concepts qui m’habitent. La métaphore du lancer du caillou est la visée. N’y a-t-il pas la métaphore d’un souci de précision ou de clarté à couper des légumes? Sentir à quel point je désire « faire la part des choses » dans ma vie peut s’exprimer symboliquement dans ce coup de couteau tranchant les légumes. L’assemblage des ingrédients pourrait être la métaphore de la synthèse ou de l’équilibre que je recherche. Et le fait de prendre le temps de manger, est, de manière assez facile, la métaphore du fait que je veux goûter ma vie à pleine dent.

Certes, la cuisine n’est pas nécessairement toujours pénible pour moi. Cependant, je viens d’y trouver et d’y ajouter une motivation beaucoup plus importante et fondamentale.

L’ensemble de toutes mes activités que je faisais « parce qu’il fallait bien le faire » pourra être potentiellement réinterprété ainsi.

Certes, pour que l’aspect symbolique soit suffisant, il est normalement attendu que cette activité puisse se faire dans un aspect généralement un peu plus lent ou du moins plus posé, ce qui n’est pas toujours possible. Je parlais de la cuisine : c’est dans ce cas moi qui m’organise complètement. Notre vie « productive » et « travaillante » se laisse peut-être plus difficilement réinterpréter. À la limite on pourrait aussi y voit la métaphore de notre course personnelle ou collective vers un idéal à atteindre. J’ai tendance à y voir une mauvaise métaphore cependant. Y voir la course comme développement de notre potentiel, de notre force ou de notre puissance d’action est déjà sans doute mieux. L’accent n’est plus sur le fait de vaincre ou de réussir à terminer tel ou tel truc, mais sur le fait d’être capable de le faire et d’avoir le plaisir de se rendre compte qu’on peut le faire.

Ainsi, je peux réinterpréter l’impératif catégorique de Kant ainsi, en faisant de celui-ci quelque chose de très large, exprimant le rappel d’une pratique des idéaux qui nous habitent.

« Agis de telle sorte que l'image de ton action puisse être la métaphore des états d’esprit féconds que tu souhaites développer. »