Ce n’est pas tous les jours qu’on peut affirmer avoir une épiphanie, une révélation philosophique.
Aujourd’hui, cela m’est arrivé.
Il y a de cela quelque temps, j’avais
déjà réfléchi au fait que je pouvais changer certaines activités de mon
quotidien pour y ajouter plus de profondeur. En ces temps-là, ce qui m’ennuyait
quelque peu, c’était le fait de m’occuper de mon fils alors qu’il était dans
une phase importante de lançage de caillou. À chaque jour ou presque, il
fallait aller à la rivière et y passer un temps fou à lancer des cailloux,
toucher un peu la rivière et ainsi de suite.
Ma réflexion de l’époque
changeait un peu la donne. J’ai simplement décidé d’y ajouter un aspect
métaphorique au lancer du caillou. Que cela devienne aussi la métaphore de la
visée en général, y compris donc de mes visées plus fondamentales qui m’habitent.
Le fait de sentir à l’œuvre dans mes muscles ce désir de précision, de visée
peut me rappeler des choses importantes qui ne sont pas possibles de partager
quand je m’occupe ordinairement de mon fils ou lorsque je joue avec. J’ai fini
par y prendre même suffisamment goût. Aller à la rivière n’était donc pas aussi
pénible qu’avant.
Aujourd’hui, plus ou moins par
hasard, l’extension de l’exercice de la médiation du lancer du caillou m’est
apparue comme une évidence. À l’époque, j’ai simplement pensé à cet exercice par
rapport à quelque chose de précis qui m’occupait. Aujourd’hui, je me rends compte
que c’est pratiquement la même chose partout. Je peux faire la cuisine méditativement
où chaque petit geste est le symbole de différents concepts qui m’habitent. La
métaphore du lancer du caillou est la visée. N’y a-t-il pas la métaphore d’un souci
de précision ou de clarté à couper des légumes? Sentir à quel point je désire « faire
la part des choses » dans ma vie peut s’exprimer symboliquement dans ce coup
de couteau tranchant les légumes. L’assemblage des ingrédients pourrait être la
métaphore de la synthèse ou de l’équilibre que je recherche. Et le fait de prendre
le temps de manger, est, de manière assez facile, la métaphore du fait que je
veux goûter ma vie à pleine dent.
Certes, la cuisine n’est pas nécessairement toujours pénible pour moi. Cependant, je viens d’y trouver et d’y
ajouter une motivation beaucoup plus importante et fondamentale.
L’ensemble de toutes mes
activités que je faisais « parce qu’il fallait bien le faire » pourra
être potentiellement réinterprété ainsi.
Certes, pour que l’aspect
symbolique soit suffisant, il est normalement attendu que cette activité puisse
se faire dans un aspect généralement un peu plus lent ou du moins plus posé, ce
qui n’est pas toujours possible. Je parlais de la cuisine : c’est dans ce
cas moi qui m’organise complètement. Notre vie « productive » et « travaillante »
se laisse peut-être plus difficilement réinterpréter. À la limite on pourrait
aussi y voit la métaphore de notre course personnelle ou collective vers un
idéal à atteindre. J’ai tendance à y voir une mauvaise métaphore cependant. Y
voir la course comme développement de notre potentiel, de notre force ou de
notre puissance d’action est déjà sans doute mieux. L’accent n’est plus sur le
fait de vaincre ou de réussir à terminer tel ou tel truc, mais sur le fait d’être
capable de le faire et d’avoir le plaisir de se rendre compte qu’on peut le
faire.
Ainsi, je peux réinterpréter l’impératif
catégorique de Kant ainsi, en faisant de celui-ci quelque chose de très large, exprimant
le rappel d’une pratique des idéaux qui nous habitent.
« Agis de telle sorte que l'image de ton action puisse être la métaphore des états d’esprit féconds que tu
souhaites développer. »