mardi 1 décembre 2020

Censure et méta-censure

S’il y a un mot d’ordre dans les médias actuellement, c’est de décrier la censure et de défendre la liberté d’expression. Il y a sans doute plusieurs paradoxes à ceci, dont le plus évident, à savoir que le censuré puisse librement exprimer son mécontentement sur une quantité impressionnante de plateforme médiatique.

Ce n’est pas ce type de censure qui nous intéresse, loin de là. Disons, pour établir une distinction que nous nous intéressons à des censures plus complexes que l’on pourrait appeler « méta-censure ». Il y a des censures que l’on censure même leur existence. Et parce qu’on censure leur existence, tous les grands pseudo-défenseurs de la liberté d’expression n’en parlent pas – soit en étant naïf ou en jouant les innocents. On fait comme si elles n’existaient pas.

Le fonctionnement typique des médias inclut nécessairement des choix et des sélections, lesquels sont renforcés par des habitudes et des manières communes de faire. Ces choix et ces sélections sont orientés selon un certain nombre de critères, lesquels sont souvent aussi économiques. Les médias se doivent d’être rentables et donc, souvent – spectaculaires, controversés, impressionnants, sensationnalistes, rapides, etc. Or, comment ces exigences de rentabilité pourraient être compatibles avec une totale liberté en termes de choix et de sélection? On parle parfois d’une ligne éditoriale d’un média particulier, comme devant faire en sorte que le journaliste donné puisse respecter le style ou l’esprit de ce média.

C’est pourtant un genre de censure évident. On a vu souvent des journalistes perdre leur emploi (ou être menacé de perdre son emploi) pour avoir dépassé les bornes de ce qui était acceptable dans un média donné. C’est une contrainte particulière certes et cela ne touche pas nécessairement tous les médias de la même façon. Mais il serait facile de voir que les institutions mêmes de publication et de diffusion pratiquent tous à un degré ou un autre une sorte de censure de fonctionnement, établissant entre autres leur place médiatique d’une manière qu’elle soit rentable. L’entente tacite pour faire partie du monde médiatique implique de jouer le jeu, au moins en partie.

Cette censure-là ne s’exprime pas directement. Elle se découvre indirectement et même se pratique aisément à l’insu même de ceux qui la font. Des personnes « habitués » guident ainsi les jeunes journalistes et écrivains à rentrer plus ou moins dans un genre de moule qui ne permet qu’une variété limitée d’articles, de chroniques ou d’analyses. Des thèmes sont ainsi considérés comme « tabous » - comme le fait qu’un journaliste ne puisse critiquer son employeur quand bien même il serait pourtant une personnalité publique comme une autre, ou les compagnies dont son média fait la publicité. On dit bien « Ne mords pas la main qui te nourrit ». Et la pression de se nourrir fait office d’une censure extrêmement efficace, d’abord pour solliciter une forme d’autocensure chez le journaliste ou l’écrivain, ensuite pour imposer un rythme de publication contraire à la véritable recherche et enquête libre de tout impératif. Cet humble blog n’échappe même pas tout à fait à cette sorte de censure puisqu’il est écrit qu’avec un temps de réflexion limité.

Il est donc quelque peu comique de voir certaine personnes s'offusquer de telle ou telle censure, alors qu'il devient clairs qu'ils participent eux-mêmes à d'autres formes de censures plus subtiles. Pourquoi s'intéresser davantage à cette censure plutôt que telle autre? Voilà une question elle-même souvent censurée ou ignorée, que ce soit volontairement comme de l'autocensure ou par naïveté et inconscience.

Une société qui prendrait vraiment à cœur la liberté d’expression garantirait à tous le fait de pouvoir survivre et se nourrir – permettant ainsi aux voies dissidentes de s’exprimer sans craindre autant le renvoie ou la perte de son gagne-pain.