S’il y a un mot d’ordre dans les médias actuellement, c’est de décrier la censure et de défendre la liberté d’expression. Il y a sans doute plusieurs paradoxes à ceci, dont le plus évident, à savoir que le censuré puisse librement exprimer son mécontentement sur une quantité impressionnante de plateforme médiatique.
Ce n’est pas ce type de censure
qui nous intéresse, loin de là. Disons, pour établir une distinction que nous
nous intéressons à des censures plus complexes que l’on pourrait appeler « méta-censure ».
Il y a des censures que l’on censure même leur existence. Et parce qu’on
censure leur existence, tous les grands pseudo-défenseurs de la liberté d’expression
n’en parlent pas – soit en étant naïf ou en jouant les innocents. On fait comme
si elles n’existaient pas.
Le fonctionnement typique des médias
inclut nécessairement des choix et des sélections, lesquels sont renforcés par
des habitudes et des manières communes de faire. Ces choix et ces sélections
sont orientés selon un certain nombre de critères, lesquels sont souvent aussi
économiques. Les médias se doivent d’être rentables et donc, souvent –
spectaculaires, controversés, impressionnants, sensationnalistes, rapides, etc.
Or, comment ces exigences de rentabilité pourraient être compatibles avec une
totale liberté en termes de choix et de sélection? On parle parfois d’une
ligne éditoriale d’un média particulier, comme devant faire en sorte que le
journaliste donné puisse respecter le style ou l’esprit de ce média.
C’est pourtant un genre de
censure évident. On a vu souvent des journalistes perdre leur emploi (ou être
menacé de perdre son emploi) pour avoir dépassé les bornes de ce qui était
acceptable dans un média donné. C’est une contrainte particulière certes et
cela ne touche pas nécessairement tous les médias de la même façon. Mais il
serait facile de voir que les institutions mêmes de publication et de diffusion
pratiquent tous à un degré ou un autre une sorte de censure de fonctionnement,
établissant entre autres leur place médiatique d’une manière qu’elle soit
rentable. L’entente tacite pour faire partie du monde médiatique implique de
jouer le jeu, au moins en partie.
Cette censure-là ne s’exprime pas
directement. Elle se découvre indirectement et même se pratique aisément à l’insu
même de ceux qui la font. Des personnes « habitués » guident ainsi
les jeunes journalistes et écrivains à rentrer plus ou moins dans un genre de
moule qui ne permet qu’une variété limitée d’articles, de chroniques ou d’analyses.
Des thèmes sont ainsi considérés comme « tabous » - comme le fait qu’un
journaliste ne puisse critiquer son employeur quand bien même il serait
pourtant une personnalité publique comme une autre, ou les compagnies dont son média
fait la publicité. On dit bien « Ne mords pas la main qui te nourrit ».
Et la pression de se nourrir fait office d’une censure extrêmement efficace, d’abord
pour solliciter une forme d’autocensure chez le journaliste ou l’écrivain, ensuite
pour imposer un rythme de publication contraire à la véritable recherche et
enquête libre de tout impératif. Cet humble blog n’échappe même pas tout à fait
à cette sorte de censure puisqu’il est écrit qu’avec un temps de réflexion
limité.
Il est donc quelque peu comique de voir certaine personnes s'offusquer de telle ou telle censure, alors qu'il devient clairs qu'ils participent eux-mêmes à d'autres formes de censures plus subtiles. Pourquoi s'intéresser davantage à cette censure plutôt que telle autre? Voilà une question elle-même souvent censurée ou ignorée, que ce soit volontairement comme de l'autocensure ou par naïveté et inconscience.
Une société qui prendrait
vraiment à cœur la liberté d’expression garantirait à tous le fait de pouvoir
survivre et se nourrir – permettant ainsi aux voies dissidentes de s’exprimer sans
craindre autant le renvoie ou la perte de son gagne-pain.