La publicité implique faussement
l’antériorité du marché sur l’individu et sa subjectivité. En vantant les
produits qu’elle cherche à vendre comme nécessaire, elle pose l’individu dans
une situation initiale de manque et de besoin fondamentalement non comblé. Selon
la fiction publicitaire, seul l’achat du produit ou du service, posé comme
facile et accessible, pourra faire en sorte que l’individu se sorte de ce
manque supposé.
Évidemment que tout ceci est une
illusion.
Personne n’est complètement dupe
au point de croire que les promesses de bonheur contenues dans la publicité
sont réelles.
Pourtant, l’effet répété de la
publicité ne vient pas seulement avec cette idée fausse. L’antériorité supposé du
marché pourra aussi finir par générer des idées ou des thèses implicites. L’idée
que le bonheur puisse être associé à un « résultat » s’y trouve. Toute
marchandise s’achète effectivement comme un résultat, dans lequel se trouverait
le bonheur, souvent d’ailleurs entendu comme satisfaction. Le marché ne peut
pas vraiment vendre de « processus » comme tel, puisque celui-ci
impliquerait une part active de l’individu, ce qui contredirait l’antériorité
supposé du marché. Certes, on peut vendre des imitations de processus et des simulacres
où l’on fait croire que ce sont les clients qui sont aux commandes de l’appareil
de production. Ainsi en est-il de ceux qui se targuent de vendre « des aventures »
en mode tout inclut. C’est une contradiction dans les termes puisqu’une réelle
aventure ne peut jamais être « toute prête » et le marché ne peut
ainsi jamais l’offrir. Ainsi, en réalité, le contrôle du processus de
production échappe largement aux consommateurs qui devront s’accommoder surtout
des résultats que leur offre le marché.
Attaché au résultat par l’idée de
la publicité et de sa fausse antériorité, même lorsqu’on pense que l’argent ne
fait pas le bonheur, on serait ainsi porté à réfléchir cependant au bonheur en
termes d’objectifs et non en termes de processus ou de manières de vivre. Je serai
heureux quand je serai aimé, entouré de mes enfants, célèbre, avec tel diplôme
ou reconnaissance explicite, avec une maison, etc.
Si c’est l’idée du résultat est
plus subtile sans doute et plus largement partagée aussi, elle n’en est pas
moins perverse.
Parce qu’elle se centre sur les
résultats et qu’elle occulte les manières, elle permet aussi d’éviter l’aspect
le plus vil qui se trouve dans la publicité, à savoir sa fausseté.
Le bonheur est dans le résultat –
et non pas dans le processus. C’est une idée qui conforte les publicitaires
eux-mêmes qui peuvent alors se justifier dans les résultats (la vente) et non
dans les mensonges, les duperies et les manipulations qu’elles impliquent. La
publicité est une pratique cynique par défaut qui implique l’acceptation de l’idée
que la fin justifie les moyens (et même les moyens douteux).
Emportant toute notre société
dans ce cadre, il devient pour ainsi dire normal d’être confus entre ce qui est
faux et ce qui est vrai, ce qui est authentique et ce qui est de l’ordre d’une
toute aussi normale manipulation, duperie et brainwash quotidien. Elle nous
suit partout et nous laisse pratiquement jamais tranquille.
Faut-il, dans ce contexte, s’étonner
de la prégnance de la paranoïa dans nos sociétés ? Nous acceptons de plein gré,
en prétendant être au-dessus de ses effets une pratique explicitement
manipulatrice dans son processus. Nous la normalisons même. De toute façon, puisque
ce qui importe, à la fois pour le publiciste et pour le marché, ce sont les
résultats, la dénonciation de ce processus semble aussi irréaliste que celui qui
aurait la « naïveté » d’attendre la vérité de ses concitoyens.
Aussi, tout le monde ment, tout
le monde publicise, tout le monde cherche l’efficacité des résultats, en flattant
son image si possible, en cultivant sa vanité, en trahissant autant que
possible les choses : le processus étant normal. Il est même omniprésent.
Bref, si la fabulation paranoïaque,
dans ce qu’elle a d’idiote est si présente et si tenace dans nos sociétés, c’est
parce qu’on aime la publicité et qu’on la trouve normale. Il suffit de faire le
raisonnement inverse et d’en tirer les conséquences.
Si ces discours idiots vous
tannent tant, interdisons la publicité alors.