mercredi 23 septembre 2020

Réflexion sur la publicité

 

La publicité implique faussement l’antériorité du marché sur l’individu et sa subjectivité. En vantant les produits qu’elle cherche à vendre comme nécessaire, elle pose l’individu dans une situation initiale de manque et de besoin fondamentalement non comblé. Selon la fiction publicitaire, seul l’achat du produit ou du service, posé comme facile et accessible, pourra faire en sorte que l’individu se sorte de ce manque supposé.

Évidemment que tout ceci est une illusion.

Personne n’est complètement dupe au point de croire que les promesses de bonheur contenues dans la publicité sont réelles.

Pourtant, l’effet répété de la publicité ne vient pas seulement avec cette idée fausse. L’antériorité supposé du marché pourra aussi finir par générer des idées ou des thèses implicites. L’idée que le bonheur puisse être associé à un « résultat » s’y trouve. Toute marchandise s’achète effectivement comme un résultat, dans lequel se trouverait le bonheur, souvent d’ailleurs entendu comme satisfaction. Le marché ne peut pas vraiment vendre de « processus » comme tel, puisque celui-ci impliquerait une part active de l’individu, ce qui contredirait l’antériorité supposé du marché. Certes, on peut vendre des imitations de processus et des simulacres où l’on fait croire que ce sont les clients qui sont aux commandes de l’appareil de production. Ainsi en est-il de ceux qui se targuent de vendre « des aventures » en mode tout inclut. C’est une contradiction dans les termes puisqu’une réelle aventure ne peut jamais être « toute prête » et le marché ne peut ainsi jamais l’offrir. Ainsi, en réalité, le contrôle du processus de production échappe largement aux consommateurs qui devront s’accommoder surtout des résultats que leur offre le marché.

Attaché au résultat par l’idée de la publicité et de sa fausse antériorité, même lorsqu’on pense que l’argent ne fait pas le bonheur, on serait ainsi porté à réfléchir cependant au bonheur en termes d’objectifs et non en termes de processus ou de manières de vivre. Je serai heureux quand je serai aimé, entouré de mes enfants, célèbre, avec tel diplôme ou reconnaissance explicite, avec une maison, etc.

Si c’est l’idée du résultat est plus subtile sans doute et plus largement partagée aussi, elle n’en est pas moins perverse.

Parce qu’elle se centre sur les résultats et qu’elle occulte les manières, elle permet aussi d’éviter l’aspect le plus vil qui se trouve dans la publicité, à savoir sa fausseté.

Le bonheur est dans le résultat – et non pas dans le processus. C’est une idée qui conforte les publicitaires eux-mêmes qui peuvent alors se justifier dans les résultats (la vente) et non dans les mensonges, les duperies et les manipulations qu’elles impliquent. La publicité est une pratique cynique par défaut qui implique l’acceptation de l’idée que la fin justifie les moyens (et même les moyens douteux).

Emportant toute notre société dans ce cadre, il devient pour ainsi dire normal d’être confus entre ce qui est faux et ce qui est vrai, ce qui est authentique et ce qui est de l’ordre d’une toute aussi normale manipulation, duperie et brainwash quotidien. Elle nous suit partout et nous laisse pratiquement jamais tranquille.

Faut-il, dans ce contexte, s’étonner de la prégnance de la paranoïa dans nos sociétés ? Nous acceptons de plein gré, en prétendant être au-dessus de ses effets une pratique explicitement manipulatrice dans son processus. Nous la normalisons même. De toute façon, puisque ce qui importe, à la fois pour le publiciste et pour le marché, ce sont les résultats, la dénonciation de ce processus semble aussi irréaliste que celui qui aurait la « naïveté » d’attendre la vérité de ses concitoyens.

Aussi, tout le monde ment, tout le monde publicise, tout le monde cherche l’efficacité des résultats, en flattant son image si possible, en cultivant sa vanité, en trahissant autant que possible les choses : le processus étant normal. Il est même omniprésent.

Bref, si la fabulation paranoïaque, dans ce qu’elle a d’idiote est si présente et si tenace dans nos sociétés, c’est parce qu’on aime la publicité et qu’on la trouve normale. Il suffit de faire le raisonnement inverse et d’en tirer les conséquences.

Si ces discours idiots vous tannent tant, interdisons la publicité alors.