dimanche 30 janvier 2022

Amour

 À ce qu’il paraît, c’est à mon tour de me laisser parler d’amour.

Parlons-en alors.

« J’aime… » Qu’est-ce que cela veut dire?

Disons d’abord que j’aime avec mon corps. Le lieu de l’amour, comme le lieu de n’importe quel sentiment, est d’être vécu corporellement, notamment dans le cas de l’amour, comme un feu dans ma poitrine. Quand je réfléchis sur mes sentiments, dans l’introspection, c’est mon corps sentimental qui m’apparaît. Ce même corps me paraît aisément insensible lorsque je suis dans la routine, dans l’habitude ou dans un autre rapport avec moi-même. L’attention creuse le corps des sentiments et y découvre un monde bien réel, bien accessible. Je ne peux pas m’y tromper. Fierté, honte, tristesse, colère, sérénité, mélanges de l’un ou de l’autre, c’est mon corps qui me le dit.

J’aime quand ma poitrine me dit que j’aime, quand mes trippes y participent, quand ma respiration est chargée d’un plaisir tout à fait sensible et palpable.

Je veux bien certes que l’amour ne soit pas qu’une sorte de drogue corporelle en moi. Si je sens mon amour ainsi, c’est aussi parce qu’il se passe d’autre de déterminant qui fait précisément que je me sens de cette façon. Qu’est-ce qui fait que j’aime, donc ?

Je peux parler d’un sentiment d’estime, d’admiration ou de sympathie face à quelque chose ou quelqu’un. L’amour se dote d’un caractère parfois esthétique, parfois moral. Ce serait un truisme de dire que j’aime la beauté. Mais il y a des beautés de toutes sortes, selon le goût de chacun. Et il est difficile d’identifier le caractère déterminant d’une beauté singulière, ce qui fait qu’elle nous inspire l’amour. Approximons ce point ainsi : la beauté est la force d’attraction et de position d’un être posé comme inspirant à s’y lier, s’y transformer ou s’y reconnaître.

Je suis inspiré à me lier aux œuvres d’art que j’aime. J’aime qu’elles me transforment. Je m’aime transformé par elles si bien que je m’y reconnais. J’y suis chez moi, pour ainsi dire, transformé et, pourtant, davantage moi-même.

De même, je suis inspiré à me lier aux caractères que j’aime. J’aime qu’elles m’influencent et je m’aime comme leur ressemblant dans quelque chose de leur esprit. Si les choses se composent différemment en moi, j’aime néanmoins l’analogie. C’est ainsi que je me projette avec plaisir chez ceux que j’aime tout en appréciant comment l’autre peut faire de même.  

Si les œuvres d’art ont un certain caractère d’achèvement, il n’en est pas de même des caractères qui peuvent changer avec le temps. Comment aimer quelqu’un qui change ?

J’aime d’abord que l’autre soit davantage lui-même. Comment peut-il l’être puisqu’il est déjà lui-même? C’est pourtant le même paradoxe que je ressens quand j’aime une œuvre d’art. Elle me rend réellement davantage moi-même quand je la contemple. La force avec laquelle je me pose comme moi-même varie ainsi dans le temps. Parfois, inspiré et riche par en dedans, je le suis plus, parfois je le suis moins. Au-delà du changement, j’aime l’intensité d’une affirmation de soi.

Mais en fait, cela ne vous dit pas quelque chose ? N’est-ce pas là, la beauté, soit la force d’attraction et de position d’un être posé comme inspirant à s’y lier, s’y transformer ou s’y reconnaître? Je reviens au truisme du fait d’aimer la beauté. Et je reviens aussi au fait que les beautés sont différentes, esthétiques ou morales, notamment. Ce développement ajoute néanmoins une tonalité de plus. Ce n’est pas simplement le contenu d’une beauté qui importe, c’est l’intensité de son affirmation, peut-être même quelque chose de sa pureté.

Cette explication débouche sur des traits voisins de caractère qui suscitent alors plus facilement chez moi l’admiration, l’estime ou la sympathie. Qui intensité, dit courage notamment. On dirait aussi quelque chose d’une authenticité. Comment une belle affirmation de soi pourrait faire son chemin facilement dans les demi-vérités ? Cela suppose une certaine lucidité sur soi aussi, une certaine conscience de son propre caractère. On pourrait certaine creuser davantage l’esprit sentimental de ce qui fait que j’aime. Et redisons-le sous forme de truisme, quitte y à soupçonner quelque chose de plus.

C’est une atmosphère qui respire l’amour, que je sens ici et maintenant, dans ma poitrine.