À ce qu’il paraît, c’est à mon tour de me laisser parler d’amour.
Parlons-en alors.
« J’aime… » Qu’est-ce
que cela veut dire?
Disons d’abord que j’aime avec
mon corps. Le lieu de l’amour, comme le lieu de n’importe quel sentiment, est d’être
vécu corporellement, notamment dans le cas de l’amour, comme un feu dans ma
poitrine. Quand je réfléchis sur mes sentiments, dans l’introspection, c’est
mon corps sentimental qui m’apparaît. Ce même corps me paraît aisément
insensible lorsque je suis dans la routine, dans l’habitude ou dans un autre
rapport avec moi-même. L’attention creuse le corps des sentiments et y découvre
un monde bien réel, bien accessible. Je ne peux pas m’y tromper. Fierté, honte,
tristesse, colère, sérénité, mélanges de l’un ou de l’autre, c’est mon corps qui
me le dit.
J’aime quand ma poitrine me dit
que j’aime, quand mes trippes y participent, quand ma respiration est chargée
d’un plaisir tout à fait sensible et palpable.
Je veux bien certes que l’amour
ne soit pas qu’une sorte de drogue corporelle en moi. Si je sens mon
amour ainsi, c’est aussi parce qu’il se passe d’autre de déterminant qui fait
précisément que je me sens de cette façon. Qu’est-ce qui fait que j’aime, donc
?
Je peux parler d’un sentiment d’estime,
d’admiration ou de sympathie face à quelque chose ou quelqu’un. L’amour se dote
d’un caractère parfois esthétique, parfois moral. Ce serait un truisme de dire
que j’aime la beauté. Mais il y a des beautés de toutes sortes, selon le goût
de chacun. Et il est difficile d’identifier le caractère déterminant d’une
beauté singulière, ce qui fait qu’elle nous inspire l’amour. Approximons ce
point ainsi : la beauté est la force d’attraction et de position d’un être
posé comme inspirant à s’y lier, s’y transformer ou s’y reconnaître.
Je suis inspiré à me lier aux œuvres
d’art que j’aime. J’aime qu’elles me transforment. Je m’aime transformé par
elles si bien que je m’y reconnais. J’y suis chez moi, pour ainsi dire,
transformé et, pourtant, davantage moi-même.
De même, je suis inspiré à me
lier aux caractères que j’aime. J’aime qu’elles m’influencent et je m’aime comme
leur ressemblant dans quelque chose de leur esprit. Si les choses se composent
différemment en moi, j’aime néanmoins l’analogie. C’est ainsi que je me projette
avec plaisir chez ceux que j’aime tout en appréciant comment l’autre peut faire
de même.
Si les œuvres d’art ont un
certain caractère d’achèvement, il n’en est pas de même des caractères qui
peuvent changer avec le temps. Comment aimer quelqu’un qui change ?
J’aime d’abord que l’autre soit
davantage lui-même. Comment peut-il l’être puisqu’il est déjà lui-même? C’est
pourtant le même paradoxe que je ressens quand j’aime une œuvre d’art. Elle me
rend réellement davantage moi-même quand je la contemple. La force avec
laquelle je me pose comme moi-même varie ainsi dans le temps. Parfois, inspiré
et riche par en dedans, je le suis plus, parfois je le suis moins. Au-delà du
changement, j’aime l’intensité d’une affirmation de soi.
Mais en fait, cela ne vous dit pas
quelque chose ? N’est-ce pas là, la beauté, soit la force d’attraction et de
position d’un être posé comme inspirant à s’y lier, s’y transformer ou s’y
reconnaître? Je reviens au truisme du fait d’aimer la beauté. Et je reviens
aussi au fait que les beautés sont différentes, esthétiques ou morales,
notamment. Ce développement ajoute néanmoins une tonalité de plus. Ce n’est pas
simplement le contenu d’une beauté qui importe, c’est l’intensité de son
affirmation, peut-être même quelque chose de sa pureté.
Cette explication débouche sur
des traits voisins de caractère qui suscitent alors plus facilement chez moi l’admiration,
l’estime ou la sympathie. Qui intensité, dit courage notamment. On dirait aussi
quelque chose d’une authenticité. Comment une belle affirmation de soi pourrait
faire son chemin facilement dans les demi-vérités ? Cela suppose une certaine
lucidité sur soi aussi, une certaine conscience de son propre caractère. On
pourrait certaine creuser davantage l’esprit sentimental de ce qui fait que j’aime.
Et redisons-le sous forme de truisme, quitte y à soupçonner quelque chose de
plus.
C’est une atmosphère qui respire
l’amour, que je sens ici et maintenant, dans ma poitrine.
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