jeudi 28 octobre 2021

Capitalisme et système de santé

Le capitalisme a longtemps cohabité avec pour ainsi dire une absence de système de santé. Dans sa version sauvage du 19e siècle, chez les mineurs par exemple, l’espérance de vie y est très faible. C’est là, on pourrait dire son visage brut. L’exploitation et la répression y était visible et on ne tentait pas de convaincre les ouvriers que le capitalisme servait leur bonheur. Tout au plus, dans une autre catégorie de la population, on considérait que le travail des mineurs était une sorte de mal nécessaire pour le progrès de la science et de l’industrie, ce qui finira à son tour de bénéficier au simple travailleur, dont les conditions pourront éventuellement s’améliorer. Le capitalisme devient alors moins sauvage, d’autant qu’il a eu la pression d’un modèle concurrent, le communisme qui prétendait pouvoir le renverser.

Dans la deuxième version du capitalisme, c’est au contraire une tâche importante du capitalisme que de convaincre qu’il serait en mesure d’apporter le bonheur aux individus. L’image d’une bonne vie, alternant le travail et la consommation devient alors l’image d’une société heureuse grâce à l’effort collectif et en quelque sorte aux travailleurs sacrifiés qui ont participés à la construction d’une société industrielle en progrès. La société d’abondance apporte au travailleur le rêve qu’il pourra être heureux, dans la mesure de ses efforts et de la collaboration possible de chacun dans notre société.

Sans surprise, une telle vision s’accompagne, à la différence du visage brut du capitalisme d’une certaine offre de soins de santé offert aux travailleurs. Elle peut certainement varier d’une société à l’autre. Cependant, en général, une société d’abondance prend soin de ses travailleurs à la différence d’une société « en développement » où les nécessités s’imposent comme allant de soi et où l’on s’arrange avec les moyens du bord.

Dans le cadre de l’image de cette société d’abondance, on peut alors poser comme idéal de système de santé le principe suivant : que tout mort par maladie évitable soit évité puisqu’elle serait prise en charge par une armée de professionnel outillés des meilleures technologies disponibles pour guérir chaque patient. On peut s’approcher plus ou moins de cet idéal, mais il paraît souvent aller de soi. Nous avons peut-être une sorte d’aveuglement à ce sujet. Qu’au Brésil, un travailleur doive aller travailler sans désinfectant et sans mesures de protection au risque de sa santé et sous la pression économique de manquer d’argent pour se nourrir, il nous semble qu’il s’agit là d’une triste banalité de certains pays qui ne se reflètent pas comme des sociétés d’abondance. Ce serait le visage dur du capitalisme. On manque de moyen et on l’impose souvent politiquement par la force, les multinationales ayant le dernier mot. Et la société, parfois quasi ouvertement, accepte qu’il y ait des morts, faute de soins adéquats. Si elle ose faire ce « choix de société », elle invoquera l’impuissance pour se donner bonne conscience.

Cela paraît impensable d'arriver à notre société. Et pourtant. N’avons-nous pas les moyens ? Et où vont toutes les promesses de bonheur que nous promet implicitement le capitalisme et la publicité ? Le travailleur se sentirait peut-être lésé dans l’image du bonheur qu’on nous promet si finalement, nous n’avons pas les moyens de payer la facture sociale d’une société entièrement soignée, peu importe les coûts ou les sacrifices que cela implique. Il faut dire aussi qu’on la soigne selon le mode capitaliste et que la santé de nos systèmes de santé s’inclue aisément dans une logique industrielle qui aborde la santé selon ses propres modalités. La performance y est en un sens, mais un sens seulement, avec une tentation gigantesque de rendre dépendant d’une prescription plutôt que de guérir définitivement, notamment. Dans le cas qui nous concerne avec la crise actuelle, les plus cyniques parleront d’un abonnement implicite à Pfizer ou Moderna. Quel PDG le moindrement comptable se passerait d’une telle offre ?

D’un autre côté, pour d’autres secteurs du système de santé peut-être, l’ère de l’austérité n’est pas bien loin derrière nous. Qu’est-il arrivé entre temps ? N’est-ce pas justement le visage dur du capitalisme qui se pointait, celui qui laisse mourir les faibles et fait survivre les forts ? À la limite, l’austérité tape là où elle pense qu’elle peut se permettre de taper, chez les « paresseux » ou les « incapables », ceux dont on croit à tort ou à raison qu’ils sont responsables de leur sort socioéconomique. Mais la Covid-19 ne fait pas cette distinction. Elle frappe aussi le « bon travailleur » et encore pire surtout « le bon retraité » celui qui représente l’image d’un bonheur qui s’obtient dans nos systèmes capitalistes par le travail et la consommation. Il faudrait donc protéger cette personne pour protéger notre image de société d’abondance. Si l’on était un peu plus dur et plus près du capitalisme sauvage, on reverrait chacun à sa plus ou moins bonne santé, comme on revoit chacun au sort socioéconomique ou personnel qui le favorise ou le défavorise dès la naissance. Le concept de « retraite bien méritée » vient plus tard. Les faibles meurent, les forts survivent, telle est la loi de la mine et certains diraient la loi de la nature avec son vieux darwinisme social assumé. Dans notre société une telle loi briserait notre confiance dans la capacité du capitalisme de nous promettre le bonheur aux méritants, nonobstant quelque malchance comme une maladie. Si l’on considère plus ou moins facilement que le pauvre est responsable de sa pauvreté, il est différent d’imaginer qu’une société d’abondance puisse d’une certaine façon rendre responsable le malade de sa maladie quand il s’agit de l’attraper en quelque sorte au hasard. Nous responsabilisons alors bien plus le contaminant que le contaminé.

Quel renversement fascinant ! Combien le contaminé fait pitié alors que le contaminant est égoïste ! Bref, comment il y a des méritants qu’il faut protéger ! Quoi, chacun ne serait plus responsable de sa santé, comme pour tout le reste dans le capitalisme ? Chacun n’est-il pas responsable de son travail ? de son choix de carrière ? de ses loisirs ? de ses choix de vie ? de son style de yoga ? Demandez à nos industrieux, ils en savent quelque chose du fait de « se prendre en main » absolument dans tous les aspects de leur vie. Ils en sont tannants à la fin, mais voilà bien une exception actuelle qu’il faut noter et re-noter : que cette fois, les autres soient responsables de ma santé de méritant, de travaillant, de vacciné, de retraité, de vulnérable. Enfin, à travers ces bizarreries idéologiques, l’important est de faire croire que le progrès dans le système capitaliste d’abondance fonctionne et que des sacrifices que nous faisons au nom de ce progrès sont bien aux services des citoyens. On ne dira pas lesquels, bien-sûr, vous comprenez. Et pourtant, est-il si impensable que notre système de santé finit par retourner, ne serait-ce qu’en partie, à la case départ de l’absence de soins et même d’un genre de dédain pour les conditions de ses citoyens en général ? Le capitalisme et son darwinisme social n’y invite pas ? Il est difficile de prétendre « progressez » tout en étant impitoyable sous un aspect essentiel du système, à savoir qu’un travailleur ne vaut que son salaire et pas une maudite cent de plus. Et qu’on songe à un débordement quelconque de patient dans un hôpital et un certain nombre de mort qui en résulte et on imagine immédiatement à tout le scandale de « l’effondrement du système de santé ». Pourtant, en un sens, n’est pas la situation normale, même sans Covid, de certaines catégories de personnes pauvres chez nos voisins du sud ?

Pour sauvegarder nos croyances particulières à notre style de capitalisme, il faut donc protéger à tout prix nos hôpitaux quitte à sacrifier des libertés individuelles jugés moins essentielles par notre système et sa manière habituelle de nous promettre le bonheur. Il faut sauvegarder le travail et la consommation. L’école doit aussi s’y inclure, mais surtout comme préparation au travail et à la consommation. On demandera beaucoup à la famille, mais sous pression elle est généralement complice de la consommation pour tenir le coup. Quant au reste, la culture, les arts, l’amitié et tout ce qui se rapporte moins directement au travail et à la consommation sont à la limite des manières concurrentes de prétendre au bonheur. On peut alors, si besoin est, sacrifier les rares lieux qui s’y dévouent comme « lieux de propagation » pour protéger nos hôpitaux et leur image, la consommation de la santé. Une telle part de l’image de ce que le capitalisme avancé est sensé nous apporter comme bonheur s’y trouve, quand bien même la reconstruction d’un Tiers-monde par en dedans en fait n’est pas bien loin. L’austérité l’amène et nous n’assumons plus tout à fait la facture sociale d’une société parfaitement soignée, vieillissante d’autant plus. Il faudrait sans doute se brancher et assumer ses choix de société avec leurs conséquences respective. Bien sûr, on n’ose jamais révéler au grand jour les contradictions dans les finalités de nos institutions. Nous tenons trop à nos illusions. Cependant, le moindrement qu’on y réfléchit davantage, on développe alors le soupçon que même le capitalisme doux des sociétés d’abondance est intrinsèquement incapable de nous livrer ses promesses de bonheur, d’où un rejet complet de ses demi-solutions idéologiques de tout ce qui passe uniquement par le travail et la consommation pour nous rendre heureux, y compris du mirage d'une "belle retraite méritée".

 

 

vendredi 13 août 2021

Réflexion sur le port de la ceinture

Une façon commune de traiter les citoyens d’aujourd’hui est d’appuyer sur l’autorité et la discipline. Il y a toutes sortes d’obligation qui façonnent notre quotidien de telle sorte que certains comportements sont interdits, généralement parce qu’ils sont considérés comme dangereux. On a imposé, il y a de cela un certain temps, l’obligation de porter la ceinture dans une voiture en argumentant qu’un tel dispositif allait augmenter de beaucoup la survie des passagers lors d’accident. La position a cependant deux aspects : celui du bienfait du port de la ceinture et celui de son imposition par la loi. Rien n’empêche d’être convaincu ou d’adopter un comportement en raison de son bienfait intrinsèque. Faire intervenir l’autorité de la loi change néanmoins la nature de la décision à prendre puisqu’elle fait intervenir un rapport de force. C’est l’autorité sociale qui sanctifie par son poids un comportement sous la menace d’amende et de contravention.

Nombreux sont ceux qui acceptent d’emblée que l’État puisse agir sur les citoyens de cette façon comme dans l’exemple de la ceinture. Déjà, on peut prendre des exemples où l’intervention de l’État est évidemment nécessaire pour assurer la cohésion sociale. L’interdiction du meurtre, du vol et ainsi de suite protège les individus et leur permet de mener leur vie sans être inquiété sans cesse pour leur sécurité immédiate. Ce genre d’exemple atteste la nécessité d’une sorte d’autorité centrale, organisant un climat social propice pour les individus. D’un autre côté, dans une perspective commune et moderne la liberté individuelle et sa protection contre les groupes autoritaires (compagnies, partis, mafias, familles, religions, sectes, etc.) est une valeur importante. Contrairement à un État traditionnel ou totalitaire où un mode de vie est imposé par la force, la loi ne devrait qu’être usée que lorsqu’elle nécessaire pour le maintien de la société. Qu’en est-il du port de la ceinture ?

On peut aisément imaginer une société moderne qui aurait fait le choix de ne pas l’imposer par la loi en argumentant qu’il en revenait de chacun et de son jugement propre s’il préfère mettre la ceinture ou non. Une telle position paraît sans doute risible à plusieurs comme si le goût de la liberté était exacerbé au point de refuser l’obligation en la matière. Déjà, sauver des vies, n’est-ce pas un objectif louable ? Les citoyens qui militent contre l’obligation du port de la ceinture ont été considérés comme étant mal informés des risques liés à leur comportement potentiel. On confond aisément encore les deux positions, celle du refus du port de la ceinture et celle de l’obligation. Avec le sentiment que la position de celui qui tient à ne pas mettre sa ceinture soit intenable, certains en concluent donc que l’obligation est acceptable dans ces conditions.

En fait une partie du débat est rapidement évacué. À quel point l’État doit intervenir dans les comportements des citoyens ? Pour mettre l’accent sur la différence entre un État moderne et un État totalitaire, on pourrait dire que l’État totalitaire traite ses citoyens comme des enfants, incapables de décider par eux-mêmes. Il sait ou prétend savoir ce qui est bon et ce qui est mal pour eux, aussi, comme pour les enfants, il n’écoutera pas les caprices des citoyens et imposera un point de vue supérieur. Un enfant n’est généralement pas capable de comprendre que manger trop de sucre peut s’accompagner des conséquences néfastes pour lui, aussi, un adulte peut organiser généralement son alimentation en fonction de ses capacités à se raisonner lui-même et lui interdire certaines choses. Cela fait nécessairement partie de son éducation jusqu’à ce qu’il devienne un adulte, capable de faire la part des choses entre ses plaisirs immédiats et les conséquences qui peuvent accompagner ses décisions. À propos de ses citoyens, en principe, l’État ne peut faire intervenir la comparaison avec le traitement de l’enfant à moins que ceux-ci soient mal éduqués ou qu’il les considère en quelque sorte comme tel. D’ailleurs, un État totalitaire agit généralement sur les deux plans de l’éducation et de la loi en infantilisant ses citoyens de manière qu’ils ne soient jamais en mesure de prendre leur propre décision autrement que sous son égide. Et que la loi soit si peu écrite pour les citoyens ordinaires qui ne le verrait ? Nous sommes maintenus dans le statut des enfants face à elle. Mais voilà un autre sujet. Si l’on revient à notre cas, est-ce que le port de la ceinture peut être l’objet d’une décision autonome de la part d’adulte éduqué ?

Dans le cas de ce propos principal, une autre chose intervient et réhabilite quelque peu la comparaison avec l’enfant. Il s’agit tout simplement de l’autorité de la science. Comme nous l’avons vu, c’est à travers l’expertise médicale et technique que le port de la ceinture semble aller de soi et que son imposition paraît bénéfique. On suppose que tous veulent survivre et que le refus d’un petit geste comme le port de la ceinture a pour ainsi dire aucun argument expert pour le défendre d’où la comparaison avec un caprice d’enfant. Mais en fait, encore une fois, la situation est plus complexe. L’exemple de l’alimentation revient. Si l’autorité parentale est acceptée pour l’enfant en termes d’alimentation, l’État laisse libre les adultes de manger mal s’ils le souhaitent car on considère que les adultes savent eux-mêmes prendre leur décision en la matière et assumer les conséquences sur leur état de santé. Le médecin ou le nutritionniste, même s’il peut faire des recommandations en termes d’alimentation n’a ici aucun pouvoir coercitif sur les adultes. Sans doute que le plaisir de manger est trop évident et trop commun pour imaginer que nos États puissent adopter le même raisonnement qu’avec le cas de la ceinture. Il faut donc relativiser la médecine et lui opposer le plaisir ou la gastronomie, ce qui en fait plus facilement un choix personnel sans compter les contraintes pratiques liés à tel ou tel type de régime. Laissons donc l’alimentation de côté, qui semble bien défendue comme relevant de la liberté individuelle.

Y a-t-il d’autres comportements socialement acceptés qui ressemblent au cas de la ceinture de sécurité ? On pourrait penser au cas de l’escalade extrême. Une première avenue, similaire à l’obligation de la ceinture de sécurité empêcherait que des adultes puissent pratiquer leur sport sans un certain équipement ou dans certaines conditions. L’autre avenue serait au contraire de laisser la pratique libre dans la mesure où ce sont les participants qui assument pleinement les risques de leurs actions. Comme le plaisir de l’escalade extrême vient sans doute précisément du fait d’inclure un certain danger et même un danger de mort, on pourrait considérer que l’obligation d’une escalade sécuritaire serait infantilisant et autoritaire. Un adulte est responsable du degré de danger qu’il est en mesure d’accepter dans ce genre de pratique. Encore une fois, la notion de plaisir ramène un certain conflit de valeur que chacun peut estimer à sa manière selon le style de vie qu’il souhaite mener. N’est-ce pas la même chose pour la ceinture de sécurité en voiture ?

On pourrait argumenter en réponse que la société a décidé d’offrir gratuitement à tous des soins de santé, que l’on adopte un comportement sécuritaire ou non. En ce sens, une part du contrat social implique peut-être une considération des biens sociaux offerts aux individus. En repartie de cette offre de soin, on peut s’attendre peut-être à ce que les individus fassent preuve de solidarité et évitent d’augmenter les coûts de soins de santé par des comportements plus risqués. En admettant qu’un individu veuille ne pas mettre sa ceinture de sécurité, il pourrait générer s’il y avait un accident un coût supplémentaire pour la société, ce qui justifie l’interdiction de ce comportement. Évidemment un tel raisonnement pourrait s’étirer dans d’autres cas de figures inverses ou plus complexes. Rendrait-on responsable les individus de leur santé mentale par exemple ? Faudrait-il, alors, interdire certains comportements qui risquent d’augmenter les consultations en psychologie ? L’argument est le même, mais la santé mentale inclut tellement de chose de manière diffuse que l’application concrète est évidemment impossible, à la différence du port de la ceinture, plus précis comme type de comportement.

L’appel à la solidarité est peut-être justifié dans une certaine mesure, néanmoins il serait facile de voir que certains sont solidaires pour certaines choses et non pour d’autres ce qui renvoie ultimement à la priorité que chacun veut accorder pour telle ou telle solidarité particulière. Comme le monde moderne n’impose pas de vérité morale, le raisonnement par la solidarité est limité puisqu’il implique des solidarités différentes selon les individus. Si l’on sort du monde des valeurs et qu’on se concentre sur le raisonnement de type « compromis individu-société », on se peut poser la question d’une autre façon. L’offre de soin gratuit n’a pas nécessairement été voulu par l’individu. Aussi, dans l’hypothèse de l’accident, un compromis possible pourrait être de pénaliser les individus qui ont fait le choix de ne pas mettre la ceinture en leur faisant payer une partie des soins par exemple. De cette façon, le jugement de l’individu adulte serait sollicité puisqu’on lui remettrait en quelque sorte la « facture sociale » seulement dans la mesure où il aurait un accident. S’il n’y en a pas, il n’y a pas de conséquence négative à la société si ce n’est qu’il y a une plus grande variété possible de style de conduite. Voilà une manière de raisonner « en adulte » : juge et assume les conséquences s’il y en a. Ce serait le même type de jugement qui soutient la liberté du grimpeur extrême.

L’absence de ce genre de raisonnement dans les débats publics vient entre autres du rapport commun que l’on entretient face à la mort. Très rarement nous avons des individus qui ont le raisonnement du grimpeur extrême. Néanmoins, il faut bien admettre qu’ils existent et qu’ils ne tiennent pas à leur sécurité ou à leur vie dans n’importe quelle condition. En fait, de manière sous-jacente, c’est l’idée de la mort et du suicide qui s’y trouve. Une société qui interdit le suicide considère que toute personne qui ne souhaite plus vivre dans certaines conditions a besoin d’aide et doit nécessairement être protégée d’elle-même, même contre son gré donc. Entre le grimpeur extrême et le suicidaire, il y a suffisamment d’affinité implicite pour qu’on les condamne tout deux. Certes, l’opinion publique commence à admettre que certaines conditions médicales pourraient autoriser certains suicides sous forme d’euthanasie. Simplement, le raisonnement reste très préliminaire et est à quelque part « infantilisant ». Nous ne pouvons concevoir qu’un adulte qui n’est pas dans des souffrances physiques évidentes puisse vouloir se suicider. L’interdiction du suicide qui vient des régimes totalitaires chrétiens, peut en quelque sorte remonter jusqu’à la gestion des risques, même des risques personnels. « L’imprudent » a toujours tort ou paraît avoir toujours tort comme celui qui ne met pas sa ceinture dans une voiture. Mais il faut avouer qu’il s’agit là d’un jugement de valeur sur le degré de risque que l’on est capable d’assumer, non pas comme un caprice d’enfant, mais bien comme un adulte qui juge.

Il y aurait évidemment des liens à faire avec notre gestion des obligations sociales présentes dans les débats publics.